L’exportation des vins gascons vers l’Angleterre s’est largement développée dans la seconde moitié du XIIIe siècle pour atteindre son apogée en 1308-1309 : cette année-là, les registres douaniers du port de Bordeaux enregistrent le départ de 747 navires marchands transportant 102 724 tonneaux de vin en direction des îles britanniques. Un tonneau contenant 800 à 900 litres, la quantité de vin exporté peut être estimée à 850 000 hectolitres. Après ce record et à l’exception de la période prospère de la principauté d’Aquitaine (1362-1372) durant laquelle les chiffres de l’exportation atteignent la moyenne de 30 000 tonneaux par an, Bordeaux est freinée par le conflit franco-anglais et limite ses expéditions à 11 à 14 000 tonneaux par an. Les registres de 1308-1309 fournissent aussi des informations précieuses à propos de la production vinicole du Haut-Pays : les noms d’un millier de propriétaires de tonneaux originaires de 43 localités différentes sont rapportés. Moissac offre cette année-là la plus importante exportation du bassin aquitain suivie de près par Agen, Port-Sainte-Marie et Montauban. L’un d’eux, Arnaut Servat, bourgeois de Port-Sainte-Marie (Lot-et-Garonne) est assez riche pour être créancier du roi-duc en 1324 (C61/35, 17, membrane 2d, 362).​

La bourgeoisie bordelaise offre un contraste saisissant avec celle du Haut-Pays. Sa fortune lui permet d’étendre son patrimoine foncier bien au-delà des murs de la ville et parfois même d’accéder à la noblesse. Cet enrichissement est la conséquence des franchises douanières exceptionnelles dont jouit la capitale du duché d’Aquitaine et en premier lieu celui de pouvoir exporter ses vins avant ceux du Haut-Pays, ces derniers étant interdits de descente dans le Bas-Pays avant le 11 novembre, date repoussée au 25 décembre en 1373 (C61/86, 47, membrane 5, 40). Or, c’est à l’automne et au début de l’hiver que le vin se vend au meilleur prix et que les conditions de navigation en haute mer sont encore bonnes. Par beau temps et avec des vents favorables, la traversée de Bordeaux à Londres peut s’effectuer en moins de dix jours mais les navires voyagent généralement plusieurs semaines voire plusieurs mois quand les tempêtes les contraignent à rester à quai. Les vins du Haut-Pays n’arrivent donc sur le marché anglais qu’au début du printemps, saison durant laquelle les prix d’une boisson menaçant de tourner aigre ont déjà chuté. Grâce à sa position hautement stratégique pour le duché, Bergerac est la seule cité du Haut-Pays à avoir obtenu le privilège de faire entrer ses vins dans le Bas-Pays avant la date imposée.   
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Carte extraite de l’article de Sandrine Lavaud, « Vignobles et vins d’Aquitaine au Moyen Âge », Territoires du vin [en ligne], n°5 - Varia sur les Territoires du vin, 2013.
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Exemple de bateau destiné au transport fluvial des marchandises. Bibliothèque d’Agen, Livre des statuts et des coutumes de la ville d’Agen, ms 0042, folio 19, XIIIe siècle. 
 
 

Les Bordelais sont aussi exemptés de la Grande Coutume, taxe douanière que chaque marchand de vin est contraint de payer avant que ses tonneaux ne quittent le port. De leurs côtés, en plus de s’acquitter des coutumes de Bordeaux et du coût de la traversée maritime, les marchands du Haut-Pays doivent financer le transport fluvial de leurs marchandises par des voies jalonnées de péages dont une trentaine a été comptabilisée rien que sur la Garonne. 

 

 

Enfin, la dernière étape des vins sur le continent est celle de l’embarquement pour l’Angleterre. Le protectionnisme bordelais s’est aussi exercé dans ce domaine puisqu’en 1401 les bourgeois de la cité obtiennent d’Henri IV (1399-1413) la confirmation d’un ancien privilège interdisant tout chargement de vin sur la côte médocaine, entre la rivière Crebat – située dans le quartier des Chartrons à Bordeaux – et Castillon – près de Saint-Christoly-Médoc – (C61/108, 2, membrane 17, 49). Cette contrainte est probablement à l’origine du développement tardif de la culture de la vigne dans cette région.

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Carte extraite de l’article de Sandrine Lavaud, Vignobles et vins d’Aquitaine au Moyen Âge, Territoires du vin [en ligne], n°5 - Varia sur les Territoires du vin, 2013. 
 

 

 

Les marchands descendant la Dordogne ou l’Isle peuvent quant à eux faire embarquer leur vin à Libourne (10 % seulement des exportations), Bourg et Blaye, tandis qu’au sud-ouest du duché ils gagnent Bayonne par  l’Adour (8 % des exportations). Le privilège du port de Bordeaux fait néanmoins des émules puisqu’en 1356 Libournais et Saint-émilionais concluent un accord visant à interdire dans leurs districts tout chargement de vin en dehors du port de Libourne (C61/108, 2, membrane 14, 68, voir l’acte daté du 28 mai 1356). Seuls les bourgeois de Saint-Émilion sont exemptés de cette contrainte (art. 4). De l’automne au printemps, les flottes fluviales et maritimes concordent donc massivement vers les grandes villes portuaires, engendrant une animation considérable.