Pratiquée par les Basques qui en ont fait une véritable spécialité, il s’agit d’une chasse saisonnière dépendant de la migration des grands cétacés traversant le Golfe de Gascogne de la mi-septembre jusqu’à la fin de l’hiver.
Si tous les ports du golfe pratiquent cette chasse dès le XIIe siècle, les Biarrots ont été considérés comme les plus compétents dans ce domaine jusqu’à la fin du XVe siècle, période marquée par la disparition des baleines de la région. Cette spécialisation mentionnée dans les Rôles gascons en 1338 (« balena capta », C61/50, 12, membrane 4, 137) peut s’expliquer par la configuration géographique du bourg situé à l’écart des voies de communication mais proche du débouché commercial bayonnais. Le petit village de pêcheur bénéficie en effet d’un paysage adapté à la chasse à la baleine : le port est abrité de la houle par des promontoires rocheux utilisés comme postes d’observation et sa plage sablonneuse en pente douce permet d’échouer facilement les cétacés pour les dépecer sur place.

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Vue de la baie du Port Vieux de Biarritz. Lithographie de Charles Mercereau dans La France de nos jours, 1853. © Bibliothèque Municipale de Toulouse, fonds d’Ancely, A-MERCEREAU, 7-58
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Moulage de l’avers du sceau de la ville de Biarritz, milieu du XIVe siècle. Archives Nationales de France, sc/F3875. © Jean-Luc Chassel

Figurant une scène de chasse à la baleine sur l’avers, le sceau de la ville appendu à un acte daté du 7 décembre 1351 et actuellement conservé aux Archives départementales du Nord (sous la cote B 267, no 7690) témoigne de l’importance de cette activité pour les Biarrots.

 
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Moulage de l’avers du sceau de la ville de Fontarabie, première moitié du XIVe siècle. © Archives Nationales de France, sc/D11326
 

Mais Biarritz n’est pas la seule cité du duché à accorder une place essentielle à cette activité puisque le sceau de Fontarabie, appendu à un acte de 1335 conservé aux Archives nationales de France (sous la cote J 615, no 94), figure aussi une scène de chasse similaire.

 
En revanche, sur les côtes landaises, les Gascons ne semblent pas avoir pratiqué cette pêche, se limitant seulement à dépecer les cétacés échoués selon la règlementation du droit d’épave (ou « wreck » en anglo-normand). Au Moyen Âge, cette prérogative permet à tout seigneur ayant autorité sur un littoral de s’approprier les bateaux, animaux ou objets ayant fait naufrage sur ses terres.  Le 24 mars 1327, le vicomte de Benauge et son épouse se plaignent ainsi que le sénéchal de Gascogne Oliver de Ingham se soit emparé d’une baleine échouée sur leur domaine, acte allant à l’encontre des coutumes locales (C61/39, 1, membrane 4, 54). Le 24 mars 1358 encore, Édouard III (1327-1377) concède à Guillaume-Sanche III de Pommiers et à sa femme Jeanne de Fronsac le droit d’épave et le droit sur les baleines échouées (« naufragorum balenas ») sur les côtes de Biscarosse, Saint-Julien et Sort (texte non transcrit, C61/70, membrane 16). 

La pêche est une activité côtière débutant à l’automne pour se poursuivre durant tout l’hiver. La mer est scrutée jour et nuit par des guetteurs postés sur les hauteurs du littoral et chargés de sonner une cloche en cas de passage des baleines (à Biarritz, l’observatoire se situe sur le promontoire de l’Atalaye). Les pêcheurs mettent alors à l’eau leurs embarcations et se lancent à la poursuite de la proie. Les sceaux de Biarritz et Fontarabie démontrent que les bateaux utilisés étaient des sortes de canots ne supportant que quatre à cinq personnes mais ils révèlent aussi l’organisation des pêcheurs : l’un d’eux se trouve à l’arrière de la barque et gouverne à l’aide d’un aviron ; deux ou trois se trouvent au centre et pagaient du côté opposé à la baleine ; enfin, le harponneur est positionné à l’avant. Relié à une corde laissée libre (parfois nouée à un flotteur), le harpon est fait de fer et sa pointe acérée est munie de barbelures lui permettant de rester accrochée une fois plantée, ce qui est clairement figuré sur le sceau de Fontarabie. Consistant à éviter les coups de queue, la technique du harponnage vise à frapper l’arrière de la tête de la baleine chaque fois que cette dernière fait surface pour respirer. Une fois achevé, le cétacé est poussé jusqu’au rivage pour être aussitôt dépecé. La rémunération des pêcheurs semble avoir été basée sur le nombre de harpons ayant frappé la proie, un bénéfice plus élevé étant réservé au premier harponneur et au propriétaire de l’embarcation. L’activité est si éreintante et accaparante pour les pêcheurs que le 17 octobre 1288, Édouard Ier (1272-1307) interdit à son bayle de contraindre les Biarrots à comparaître à la cour de Labourd durant la saison de chasse.

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Dépeçage d’une baleine. Gravure extraite des Œuvres complètes d’Ambroise Paré […] divisées en vingt huit livres, p. 1582, 1585. © Bibliothèque Interuniversitaire de Santé, Paris-Descartes
  Très prisée car toutes les parties de son corps peuvent être utilisées, la baleine fournit l’huile issue de sa graisse (fondue dans des fours ou des chaudrons directement installés sur la plage), de la chair comestible (la langue en constitue le meilleur morceau), du cuir (servant aux cordes, aux ceintures et au cordage des bateaux), des fanons (servant d’armatures dans la confection de multiples objets) ainsi que la carcasse (dont les os servent aux clôtures, aux sièges ou aux charpentes). Utilisée pour le calfatage des navires (mélangée au brai, sorte de colle à base de résine de bouleau), pour l’éclairage ou pour le traitement des cuirs et des draps (en servant d’enduit), l’huile de baleine est exportée en France, en Espagne, en Angleterre ou en Flandre. Une baleine peut ainsi fournir entre trente et quarante tonneaux d’huile.
Les revenus de la chasse à la baleine étant importants, la maîtrise de l’activité fait très tôt l’objet de convoitises de la part des Bayonnais. À l’origine il existe un droit ducal sur les prises de baleines à Biarritz consistant à verser au duc d’Aquitaine la valeur totale des deux premières baleines ramenées au port et une dîme sur les suivantes. Mais dès la seconde moitié du XIIIe siècle, ce droit de prise est partagé entre le duc, la ville de Bayonne et le chapitre de la cathédrale de Bayonne. Un texte extrait des Recogniciones feodorum in Aquitania et daté du 7 décembre 1268 indique que les habitants de Biarritz et d’Anglet parviennent à récupérer temporairement ce droit sur les prises de baleines, d’esturgeons et de marsouins en échange du versement d’un cens de 40 livres de monnaie de Morlaàs sur chaque baleine adulte et de 10 livres sur chaque baleineau ou marsouin (Gallica, p. 159, no 414). Mais en 1338, ce cens est en partie entre les mains du Bayonnais Pey de Poyanne et s’élève à 6 livres sterlings par cétacé ramené à Biarritz (C61/50, 12, membrane 4, 137). C’est finalement la raréfaction progressive des baleines dans le Golfe de Gascogne qui permet aux Biarrots d’abaisser en 1499 le taux de la dîme versée au chapitre de la cathédrale de Bayonne. Avec la disparition des grands cétacés, les Basques du Labourd se lancent au XVIe siècle dans la navigation hauturière et atteignent les mers du Nord, Terre-Neuve et la côte orientale du Canada où la présence de baleines et d’abondants bancs de morues annoncent une nouvelle prospérité économique qui ne s’achèvera qu’au début du XXe siècle.