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Coordination : Frédéric BOUTOULE, Professeur d'histoire médiévale - Université Bordeaux Montaigne |
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L’axe « Espaces : fabrique, usages, représentations » s’inscrit dans la tradition du laboratoire Ausonius, à la suite des travaux de Charles Higounet, fondateur en 1968 du Centre de Recherches sur l’Occupation du Sol. Si l’objet d’étude est demeuré pérenne, le questionnement scientifique a évolué vers un élargissement du champ temporel, avec l’adoption d’une perspective diachronique, comme géographique, avec le choix d’un regard multiscalaire sur les espaces d’étude (Aquitaine, péninsule Ibérique, Adriatique). Le renouvellement s’est nourri de l’interdisciplinarité des équipes de recherche constituées d’archéologues, d’historiens, d’historiens de l’art, de géomorphologues, de géographes, d’urbanistes, de morphologues, d’archéozoologues, de paléoenvironnementalistes, de géomaticiens… ; il s’est également manifesté dans les méthodes de collecte et de traitement numérique des données. Cette évolution du regard sur l’espace suscite des collaborations intra et extra Labex. Elle se veut en connexion avec la demande sociale, notamment dans les projets de valorisation. Deux facettes en sont particulièrement explorées : l’espace comme objet historique d’une part, épistémologie et méthodologie de l’analyse spatiale d’autre part.
- L’espace, un objet historique : considéré comme un produit social, l’espace se prête à une analyse diachronique attentive à en décrypter et en interroger les modalités de construction, d’appropriation, de polarisation, de territorialisation, de perception et de représentations. Comment se construit l’espace ? Quelles interactions entre données naturelles et activités anthropiques ? Quelle structuration ? Qu’est-ce qui relève de l’auto-organisation ou du planifié, et à quelles échelles ? Quels sont les processus de maintien, d’héritage, de rupture ? Quelles composantes spatiales ? Et parmi elles, lesquelles (formes de l’habitat, voies de communication, parcellaires…) forment réseaux ? Quels flux animent ces réseaux ? Quelles fonctionnalités des espaces ? Quelles pratiques et usages ? Quels points communs, quelles singularités, quelles interactions entre villes et campagnes ? Quelles perceptions de l’espace ? Comment l’espace devient territoire, selon quels modes d’action ? Quelles formes de représentations et d’appartenance : symboliques, rituelles, culturelles et matérielles ? Quels liens entre elles ? Quelles articulations, interactions (ou non) entre les différents types d’espace ? Ces interrogations sont déclinées selon trois grandes perspectives :
- Environnement et gestion des ressources naturelles
La compréhension des implantations humaines ne peut pas se concevoir sans prendre en compte l’environnement et les ressources naturelles. De l’étude des potentialités et des contraintes environnementales, ainsi que de leur mode de gestion, résulte une meilleure perception de l’usage de l’espace par les sociétés du passé, entendue dans la longue durée. La diversité des milieux au sein desquels les membres de l’équipe sont susceptibles d’intervenir (littoraux, plaines fluviales, montagnes, forêts, landes, zones humides…) constitue un atout car elle permet une confrontation féconde des différentes modalités d’implantation et d’adaptation des communautés humaines en fonction des caractéristiques du paysage. Les relations Homme-milieu ont toujours représenté des enjeux de pouvoirs à petite et à grande échelle (répartition entre espaces cultivés et incultum) et leur analyse révèle un large éventail de modalités de construction de l’espace social. Les recherches consacrées à l’histoire de l’évolution du paysage sur la longue durée rencontrent un écho particulièrement favorable auprès des collectivités locales très investies dans les réflexions sur le changement climatique, l’environnement et le développement durable. L’étude des sociétés anciennes est perçue comme pouvant apporter un éclairage utile, un regard distancié sur certains grands débats de société actuels. Les projets menés associent approches archéologiques et environnementales et utilisent un Système d’Information Géographique pour le traitement et la mise en valeur spatiale des données.
L’étude de l’habitat et du territoire nécessite une approche multiscalaire et diachronique. Il s’agit de mieux caractériser les différentes entités participant de la structuration du territoire, de l’échelle du site à celle des réseaux : statut, typologie, fonction, hiérarchisation des sites (habitat, sites d’extraction et de production, établissements cultuels, espaces funéraires…) et des réseaux (les voies de communication, leur hiérarchisation et les flux qui les empruntent : économiques techniques, technologiques, artistiques, cultuels…). Sites et réseaux s’inscrivent dans un maillage du territoire, du parcellaire aux différents découpages administratifs (du pagus à la civitas antiques, du diocèse à la paroisse…) et produisent des effets de polarisation ou d’émiettement. Pour comprendre ce qu’était le territoire dans les sociétés anciennes, il faut aussi prendre en compte sa dimension symbolique, culturelle, rituelle…, tant la perception du territoire relève aussi de représentations mentales. La conjugaison des sources archéologiques et historiques permet d’aborder ces représentations à travers leur expression matérielle, discursive et mémorielle. La réflexion est déjà très engagée dans des perspectives tant diachroniques que synchroniques, parfois thématiques, sur des régions aussi différentes que l’Adriatique antique (Istrie, Adriatlas) et l’Aquitaine protohistorique, antique (Aquifer, Aquirom, Peuples de l’estuaire et du littoral médocain, Habiter en Aquitaine dans l’Antiquité - de la Tène finale à l’Antiquité tardive - ; Les campagnes antiques de l’Aquitaine centrale de la fin de l’âge du Fer à l’Antiquité tardive (Bituriges Vivisques, Vasates et Nitiobroges) : formes de l’habitat rural et dynamique du peuplement) et médiévale (Résidences aristocratiques, Structuration des sociétés et des espaces ruraux).
- Fabrique et fonctionnement de l’espace urbain
Cette perspective de recherche se place dans la continuité de « l’école » bordelaise d’histoire urbaine initiée par Charles Higounet, fondateur de la collection de l’Atlas historique des villes de France sous l’égide de la Commission Internationale pour l’Histoire des Villes. Elle entend interroger l’objet ville, dans sa définition et sa fabrique à différentes échelles tant spatiales, de celles de l’aire d’influence et du territoire à celle de la parcelle lotie, que temporelles (rythme, périodisation, ruptures, continuités, héritages). La naissance de la ville questionnent toutes les périodes : protohistoriens et antiquisants revisitent aujourd’hui les premières formes urbaines (oppidum de Châteaumeillant-Mediolanum) et les processus de continuité et de rupture qui ont conduit à la cité antique. Quant aux fondations médiévales, l’approche topographique, chère à Charles Higounet, est complétée par des études d’archéologie du bâti (basses vallées de la Garonne et de la Dordogne, Saint-Émilion, Bordeaux) et bénéficie de l’apport de la géomatique (SIG, La Réole et Saint-Macaire). En complément des études thématiquement ou chronologiquement plus resserrées, la perspective diachronique, adoptée dans le cadre de la collection Atlas historiques des villes de France (Bordeaux, Villes-têtes de l’Aquitaine : Agen, Bayonne, Mont-de-Marsan, Pau, Périgueux) et de SIG (SIGArH), tout comme l’approche morphologique et la démarche comparative permettent de mieux rendre compte des dynamiques spatio-temporelles de la fabrique urbaine ; elles amènent également à reconsidérer le couple ville-territoire. La production cartographique s’est imposée comme une source, un outil, voire une finalité, de l’analyse spatiale et le vecteur incontournable pour penser la ville.
- Épistémologie et méthodologie de l’analyse spatiale : la réflexion entend mettre à distance l’objet d’étude et interroger les postulats et pratiques scientifiques de l’analyse spatiale à différents niveaux :
Quelles sources collecter ? Les pratiques actuelles tendent à rassembler des données de natures variées (archéologiques, environnementales, textuelles, épigraphiques, morphologiques, icono-cartographiques) à partir desquelles les chercheurs élaborent des métadonnées qui doivent respecter la source d’origine.
Les méthodes d’investigation jouent également de la pluralité : fouilles, prospections (pédestres systématiques, ponctuelles, aériennes, géophysiques, Lidar), archives textuelles et icono-cartographiques (ces dernières faisant l’objet de numérisation). Le traitement des sources suscite un questionnement préalable à toute interprétation : comment les confronter ? Quels critères pertinents de confrontation, de classification, de taxinomie, de hiérarchisation ? Leur analyse recourt tant à la géomatique (base de données, SIG) qu’aux démarches de comparaison et de modélisation, et conduit à des productions cartographiques, notamment sous forme d’atlas.
- Interroger les objets d’étude et les représentations
Dans sa démarche interprétative, le chercheur prend en compte le poids de l’historiographie et s’interroge sur la pertinence de certains concepts – tels ceux de ville et campagne et de leur opposition dans la longue durée – en se gardant des interprétations controuvées. De cette réflexion sur l’espace, émergent de nouveaux paradigmes, parfois empruntés à d’autres disciplines ou démarches, telle la chrono-chorématique qui, en jouant de la modélisation et du comparatif cas particulier/modèle théorique, amène à repenser les trajectoires urbaines et, au-delà, l’objet ville.
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