Représentant de l’autorité ducale en Aquitaine, le sénéchal de Gascogne ne parvient pas à gouverner le duché au XIIIe siècle conformément aux souhaits des sujets. Faute de revenus suffisants pour eux-mêmes et les officiers qui les relaient – ce qui les contraint à pressurer les contribuables nobles et non nobles –, faute aussi d’une force militaire permanente, les sénéchaux manquent cruellement de moyens. Les rois-ducs agissent aussi à leur encontre : leurs gages sont irréguliers et variables, les appels en matière judiciaire sont directement envoyés à Londres, et des arrêts royaux sont même rendus au mépris de la justice du sénéchal. Difficiles à soumettre quand les ducs résidaient encore dans le duché, la noblesse et la bourgeoisie urbaine accentuent leurs velléités autonomistes.

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Retour d’Henri III et de son épouse Éléonore en Angleterre après un séjour en Gascogne en 1242. British Library, Historia Anglorum de Matthieu Paris, Royal MS 14 C VII, folio 134v, XIIIe siècle
  La menace française et la révolte de certains seigneurs gascons en 1242-1243 (comme le sire de Montravel, partisan des Français) font néanmoins prendre conscience à Henri III (1216-1272) des effets néfastes provoqués par l’absentéisme ducal. La capitale même du duché, Bordeaux, est en proie à l’agitation des factions bourgeoises. L’état d’extrême fragilité dans lequel se trouve alors l’Aquitaine finit par convaincre le roi de la nécessité d’affermir l’autorité publique : en 1243, les gages du sénéchal de Gascogne deviennent enfin fixes et réguliers et, le 1er mai 1248, Henri III nomme Simon de Montfort, comte de Leicester, « garde » de la Gascogne pour une durée de sept ans.
Celui-ci dispose de pouvoirs étendus mais la brutalité caractérisant son gouvernement provoque un vaste soulèvement en Gascogne. Simon de Montfort est finalement rappelé en Angleterre et c’est le fils du roi, le futur Édouard Ier, qui est nommé à la tête du duché en 1252.

Un séjour de dix-sept mois en Aquitaine suffit au prince Édouard pour identifier les principaux maux dont souffre cette dernière. Lors de son retour en Angleterre en octobre 1255, Bordeaux est devenue la capitale administrative, politique et financière du duché. Les services financiers et la majeure partie de l’administration générale ont été rassemblés au palais de l’Ombrière. Désormais, c’est à Bordeaux que sont données les instructions et que les requêtes seront reçues. C’est aussi à Bordeaux, et non plus à Londres, que les affaires ordinaires sont expédiées. La création des Rôles gascons en 1273 et la grande enquête des reconnaissances féodales menée entre 1272 et 1276 (Recogniciones feodorum in Aquitania, édition de Charles Bémont numérisée sur Gallica) reflètent parfaitement cette volonté nouvelle d’organiser, de clarifier et de structurer efficacement les vieilles institutions du duché d’Aquitaine. L’intérêt du roi Édouard Ier pour son domaine continental est resté constant jusqu’à sa mort en 1307. Il séjourne à quatre reprises en Aquitaine (voyages durant lesquels il fait montre d’une générosité ostentatoire) et étend les pouvoirs du sénéchal de Gascogne dont le rôle diplomatique devient capital après le Traité de Paris de 1259.

Cet accord conclu entre Henri III et saint Louis place l’intégralité du duché sous la suzeraineté du roi de France changeant considérablement la donne en Gascogne. En effet, les devoirs vassaliques peuvent, entre autres, amener le duc d’Aquitaine à combattre dans l’ost de son suzerain mais autorisent aussi le roi de France à exercer sa justice sur les sujets du duché. Ces nouvelles prérogatives françaises s’opposent aux coutumes de Gascogne que le duc et ses sénéchaux jurent de respecter lors de leur investiture ou entrée en charge : selon ces coutumes, les Gascons ne peuvent être contraints à combattre au-delà de leurs frontières (c’est-à-dire au nord de la Garonne) et ne peuvent être jugés en dehors de certaines limites (qui peuvent être celles d’une seigneurie ou d’un diocèse par exemple). Trahis par l’hommage d’Henri III, les Gascons ne tardent pas à retourner la situation à leur avantage en appelant constamment l’arbitrage judiciaire du Parlement de Paris.   FIG18 A
  Hommage d’Henri III à saint Louis en 1259. Bibliothèque nationale de France, Grandes chroniques de France, Français 2813, folio 290r, XIVe siècle

Face à cette contestation de leur souveraineté qui sape davantage leur autorité, les rois-ducs chargent désormais les sénéchaux de Gascogne de défendre leurs intérêts à Paris, ce que fait par exemple Antonio de Pessagno pour Édouard II (1307-1327). Dans un document daté du 3 novembre 1317, le roi ordonne qu’en plus de son salaire de sénéchal fixé à 2000 livres tournois, Antonio de Pessagno en reçoive 5000 pour ses frais au Parlement de Paris. Le sénéchal doit être aussi raisonnablement remboursé de tous ses déplacements en dehors du duché. Le texte révèle non seulement qu’Antonio de Pessagno se rend régulièrement au Parlement de Paris mais aussi que l’office de sénéchal de Gascogne est désormais bien rémunéré (C61/32, 11, membrane 16, 31).
Le début de la guerre de Cent Ans interrompt opportunément ces appels en 1337.