Le 5 juin 1305 l’archevêque de Bordeaux Bertrand de Got devient pape et adopte le nom de Clément V. Premier pontife d’origine gasconne (né à Villandraut, au sud de la Gironde), il demeure célèbre dans l’histoire pour plusieurs raisons : la condamnation de l’Ordre des Templiers sous la pression du roi de France Philippe IV le Bel (1285-1314) ; son séjour prolongé près d’Avignon annonçant l’établissement de la curie du Saint-Siège dans la cité pour les neuf pontificats à venir (1316-1418) ; son attachement à son pays natal et à ses proches ; le népotisme en leur faveur. 

  Figure89
Château de Villandraut édifié par Clément V entre 1305 et 1314, Gironde  
Figure90
Couronnement du pape Clément V à Lyon. Bibliothèque apostolique vaticane, Nuova cronica de Giovanni Villani, MS Chigiano L VIII 296, folio 186, XIVe siècle
  Très nombreux, les parents et amis de Clément V sont en effet particulièrement bien traités durant tout le pontificat. Ces largesses profitent avant tout aux neveux du pape (dont beaucoup deviennent évêques ou cardinaux) et aux familles entretenant des liens matrimoniaux avec les Got (citons entre autres les Armagnac, les Bruniquel, les Pins, les Durfort, les Pressac, les Fargues, les Budos). Les amis, les hommes de confiance et presque tous les grands seigneurs du Sud-Ouest ont aussi joui, à des degrés divers, de la générosité d’un pape très cordial. Souvent assimilées à la faiblesse d’un pontife à la santé fragile, ces libéralités permettent en fait à Clément V de soutenir officieusement un duché aquitain accablé par la guerre.

En tant que pape, Clément V se doit de maintenir une certaine neutralité envers les différents souverains de la Chrétienté, notamment les rois de France et d’Angleterre qui, dans le conflit qui les oppose, cherchent à obtenir son appui. Sa position de chef de l’Église d’Occident et sa parfaite connaissance de la question aquitaine (en 1294 il est engagé dans les négociations destinées à mettre fin à la guerre de Guyenne et en 1307 il obtient la promesse d’un prompt mariage entre Édouard II et Isabelle de France) lui offrent l’opportunité de régler une bonne fois pour toute la querelle franco-anglaise et mobiliser ainsi l’effort guerrier vers une cause plus grande : la Croisade. Cependant, son autorité reste vaine car aucun des monarques en question ne souhaite faire de concession. Au contraire, en comblant d’honneurs les proches du pape, chaque parti espère faire pencher la balance en sa faveur. 
En tant que duc d’Aquitaine et donc suzerain de la famille de Got, le roi d’Angleterre se trouve dans une position plus avantageuse que son rival capétien. Il est significatif que le premier rôle gascon enregistré pour le règne d’Édouard II (1307-1327) concerne la donation de la prévôté de Bazas à Bertran de Sauviac, neveu et chevalier de Clément V. Mais c’est autour d’un autre neveu, l’homonyme Bertran de Got très aimé du pape, que les rois de France et d’Angleterre se livrent à une véritable surenchère de « cadeaux » dont voici quelques exemples : le 15 juin 1307, Philippe le Bel lui concède la seigneurie de Duras (actuel Lot-et-Garonne) en plus des vicomtés de Lomagne et d’Auvillar dont il héritera à la mort de son père Arnaud Garsie de Got ; le 16 juin 1308, Édouard II lui octroie le château de Blanquefort et ses 1500 livres chipotines de revenu annuel auxquels il ajoute en 1311 le château de Puyguilhem (près de Périgueux) et la bastide de Monségur (près de La Réole).   

Figure91

Château de Blanquefort, Gironde

Figure92

Gisant du pape Clément V, collégiale Notre-Dame d’Uzeste, Gironde
 

Ces donations particulièrement importantes témoignent des graves difficultés auxquelles le roi d’Angleterre doit faire face durant son règne. Contesté par ses barons pour son incompétence, discrédité par ses échecs militaires et ses largesses excessives envers son favori (le Béarnais Pierre de Gabaston) et ruiné par les guerres avec l’Écosse et la France, Édouard II n’a d’autre choix que de chercher un appui extérieur au royaume. Après de longues négociations menées par Bertran de Sauviac et Bertran de Got (dont l’accord en tant qu’exécuteur testamentaire du pape est obtenu après maintes nouvelles concessions de la part du roi), Clément V finit par offrir son aide au monarque sous la forme d’un prêt de 160 000 florins. Une longue charte datée du 20 janvier 1314 et rapportée dans les Rôles gascons permet d’en savoir plus sur les conditions de cet accord. Parmi les nombreuses clauses, il est intéressant de noter que la somme étant versée à titre privé (bien que prélevé sur le Trésor pontifical), les héritiers de Clément V doivent donner leur accord et se porter garants ; que l’usure étant interdite par l’Église, le prêt est concédé sans intérêt ; qu’afin de rembourser le pape et ses héritiers, Édouard II leur remet l’intégralité des revenus qu’il possède en Aquitaine, en Gascogne et en France (excepté le comté de Ponthieu) ; que toutes les personnes affectées à la perception de ces revenus seront choisies par le pape et ses héritiers (C61/32, 11, membrane 16, 39).

Ce prêt représente sans nul doute la plus belle opportunité d’enrichissement de la famille de Got. Grâce à lui, les héritiers du pape conserveront longtemps une influence considérable au sein du duché d’Aquitaine.