Dans un territoire largement ouvert sur l’océan Atlantique et traversé par un réseau fluvial particulièrement dense, la pêche occupe une place importante au sein de la société gasconne, d’autant que la pratique du culte chrétien impose la consommation de repas maigres durant 100 à 200 jours par an (lors du Carême par exemple). S’ils correspondent à des mets de choix servis à la table des plus riches, les poissons et cétacés pêchés dans le duché d’Aquitaine sont principalement des espèces migratrices. Les Rôles gascons les mentionnent régulièrement dans les textes fixant le montant des taxes sur les marchandises comme lors de la confirmation de l’augmentation des péages de la ville de Castillon le 2 juillet 1442 (C61/131, 20 membrane 7, 85) : l’acte évoque des lamproies (« lampredes », art. 28), des saumons (art. 29), des esturgeons (« creac », art. 30), des aloses (« Colax », art. 31), des « dauphins » (art. 32) et des baleines (art. 47 de la seconde partie du texte). Même s’il convient d’ajouter à cet apport saisonnier des poissons plus sédentaires, tels que le brochet ou le bar (« lus » et « lobiatz », C61/41, 3, membrane 11, 5), les Gascons importent d’Angleterre de grosses quantités de harengs (« allece », C61/58, 20, membrane 1, 36) et de stockfish ou poissons séchés (« stokfissh », C61/76, 37, membrane 1, 77).
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La pêche se pratique généralement sur une barque en utilisant un harpon (pour les proies les plus imposantes), une ligne ou un filet mais l’utilisation de trubles (sorte d’épuisette) et de pièges est aussi attestée, notamment dans les rivières. Les Rôles gascons évoquent ainsi l’existence de nasses ou filets verveux (filets à armatures d’osier ayant la forme d’un entonnoir, C61/41, 3, membrane 11, 5), de digues (« nassa », « paxeria », C61/33, 13, membrane 8, 185) et de pêcheries (« piscariam », C61/32, 11, membrane 9, 197) bien que ces termes soient souvent utilisés indifféremment pour désigner un lieu de pêche aménagé. |
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Il n’est pas facile de savoir à quoi ressemblent les pêcheries mais un acte du 10 avril 1319 apporte quelques éclairages : sur la Garonne, deux familles se partagent une pêcherie s’étendant « des rives du Bazadais aux rives du Bordelais » et composées de diverses installations, à savoir des digues fabriquées à l’aide de poutres et de piquets ainsi que des pièges (C61/31, 12, membrane 2d, 433). Un texte de 1329 indique aussi que les digues et la pêcherie de Lamothe (paroisse d’Ustaritz, Labourd), installées sur la Nive, peuvent être réparées et renforcées par des ramées ou feuillages (« brosta » en gascon, C61/41, 3, membrane 6, 82). Aménagements fluviaux consistant essentiellement à concentrer et bloquer une grande quantité de poissons, notamment lors des migrations saisonnières, il est courant de les trouver à proximité directe des retenues créées par les moulins hydrauliques, cas bien illustré par la pêcherie de Lamothe construite près du moulin d’Arnaut-Sans Duluc (C61/35, 16, membrane 14, 104).
Droit régalien au même titre que l’usage des forêts, la pêche est encadrée par l’autorité publique mais peut faire l’objet de concessions à l’exemple de la pêcherie royale située sur le Lot à proximité de Penne-d’Agenais et donnée au seigneur Arnaut de Durfort le 1er février 1339 (C61/50, 12, membrane 1, 155). La pêche est règlementée à deux niveaux : l’exercice du droit de pêche proprement dit et la vente des poissons. Ces deux étapes font l’objet de disputes parfois violentes entre des communautés peu désireuses de partager une source de revenus importante. C’est ainsi qu’en 1329 des pêcheurs de Labenne, Capbreton et Bouret ayant obtenu le droit de pêcher dans « la mer salée » et les eaux douces situées près de chez eux moyennant redevance due au roi-duc, se plaignent d’être régulièrement agressés par des habitants de Bayonne qui leur contestent ce droit (C61/41, 3, membrane 9, 28). Convoqués à la cour du sénéchal de Gascogne, les Bayonnais se défendent en présentant une vieille lettre patente du privilège de pêche qui leur a été octroyé en février 1256.
Rapporté dans les Rôles gascons, le contenu de la patente révèle une règlementation assez stricte dont voici quelques exemples (C61/41, 3, membrane 11, 5) : chaque homme venu pêcher dans la mer doit à son retour accoster à La Pointe, avant les huttes du Bouret, afin d’y vendre son poisson ; en dehors de La Pointe, seule la vente à Bayonne est autorisée ; il est interdit d’acheter du poisson destiné à Bayonne pour le revendre dans une région circonscrite par les cités de Dax, Sorde, Horgave, Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et Fontarabie ; le premier esturgeon attrapé par un pêcheur doit toujours être envoyé et découpé à Bayonne ; durant le Carême, nul ne peut apporter du poisson à Bayonne à l’exception des religieux. Les condamnations des contrevenants varient selon la gravité de l’acte : amende, destruction du bateau et saisie de la marchandise (les poissons sont alors partagés : un tiers pour le seigneur de Bayonne, un tiers pour les « gardiens » et un tiers jeté à Bayonne).
Une lettre envoyée le 20 juillet 1322 à Arnaut-Sans Duluc, citoyen de Bayonne et propriétaire de la pêcherie de Lamothe sur la Nive, révèle aussi que les installations de pêche ne doivent pas faire obstruction au passage des bateaux, sous peine de démantèlement. C’est ainsi qu’Arnaut-Sans voit sa digue détruite par les officiers d’Édouard II (1307-1327) car elle entravait la circulation des « simples » et « amaratz » (probablement des sortes de radeaux de bûches). Après appel à la cour du sénéchal de Gascogne, le connétable de Bordeaux Jean Hoquet est envoyé à Lamothe afin de constater lui-même les dégâts occasionnés à la pêcherie et superviser le nouvel aménagement sur la rivière. Dans le but de satisfaire l’ensemble des partis, le connétable fait mesurer l’espace à l’aide d’une corde et s’assure auprès de témoins locaux qu’il sera suffisant pour la circulation fluviale. Arnaut-Sans Duluc est finalement autorisé à reconstruire ses installations à la seule condition de laisser un espace pour les bateaux (C61/35, 16, membrane 14, 104).
Le droit de pêche est donc particulièrement règlementé et nul ne peut vendre son poisson dans n’importe quel port, ni pêcher n’importe où. Des cités portuaires telles que Bayonne font en sorte de concentrer la vente du poisson dans leurs districts et de s’approprier la maîtrise des littoraux, de la « mer de sel » et des fleuves.
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