Passé le XIIe siècle, le rayonnement des successeurs des célèbres troubadours gascons, tels que Cercamon, Marcabru, Jaufré Rudel ou encore le co-seigneur de Marsan Arnaut-Guilhem, est plus limité. Les troubadours du XIIIe siècle comme Aimeric de Belenoi et son oncle Pierre de Corbian (tous deux Médocains), Guiraut de Calanson, Amanieu de Sescas (que l’on considère, à tort, comme Catalan), Lantelm d’Aiguillon ou encore Bernat de Panassac sont moins populaires. Quelques cours aristocratiques témoignent encore de cette continuité poétique et musicale comme celle du château de Benauges, l’un des rares foyers troubadouresques connus durant la première moitié du XIIIe siècle. La tradition poétique courtoise de cette seigneurie de l’Entre-deux-Mers est incarnée par Pierre IV de Gabarret, puissant seigneur de Benauges et vicomte de Bezeaumes mort en 1234, et par son épouse Guilhemine qui inspire le chevalier troubadour poitevin Savary de Mauléon. |
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Représentations des troubadours gascons Marcabru, Jaufré Rudel, Aimeric de Belenoi et Cercamon. Bibliothèque nationale de France, Chansonnier provençal, MS cod. FR 12473, folios 102, 107, 111, 119, XIIIe siècle |
Sujet de prédilection des poésies des troubadours, le fin’amor ou amour courtois désigne une relation librement consentie, adultère mais spirituelle, entre une riche femme mariée, considérée comme inaccessible, et un amant de condition inférieure lui jurant fidélité et soumission. Le fin’amor célèbre ainsi un amour inassouvi – donc pur – et met à l’épreuve le dévouement, la patience et l’obéissance de l’amant. Ce jeu amoureux créant une véritable dépendance de l’amant envers sa dame est en fait une référence aux liens féodo-vassaliques unissant un riche suzerain à son vassal de moindre rang. Cette transposition des codes féodaux à la littérature courtoise est particulièrement manifeste lorsqu’un chevalier engage sa loyauté envers une dame : le serment est prêté à genoux et les mains jointes, à l’image de la cérémonie de l’hommage vassalique. |
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Représentation de Savary de Mauléon, chevalier-troubadour. Bibliothèque nationale de France, Chansonnier provençal, MS cod. FR 12473, folio 138, XIIIe siècle. |
Guilhemine apparaît mise en scène dans les deux partimens de Savary de Mauléon, « Savaric e.us deman » et « Gaucelm, tres jocs enamoratz ». Un partimen est une sorte de joute verbale composée en vers et supposée répondre à une question précise. Dans ces textes, la vicomtesse de Bezeaumes est appelée à présider, avec d’autres dames, deux « cours d’amour » afin de départager la discussion. La cour d’amour est une métaphore des cours seigneuriales réglant les conflits de la noblesse selon un rituel précis. Dans sa composition, le partimen reprend la procédure judiciaire de ces plaids : exposé des faits, débat et verdict prononcé collectivement.
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Peironet, en Savartes Pierre de Gabarret |
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éd. KOLSEN (Adolf), Dichtungen der trobadors, I, Halle, 1916, p. 72-73. Traduction David Escarpit extraite de l’article de Frédéric Boutoulle, « Les deux vies de Guilhemine, cours d’amour, veuvage et politique à Benauges au XIIIe siècle », De Benauge à Verdelais, 12e colloque L’Entre-deux-Mers et son identité, 9, 10 et 11 octobre 2009, 2011, pp. 31-46. Disponible sur internet |
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[I] Peironet, en Savartes Vai a.n Per de Durban ir E digas li que vers es Que la gensser ses mentir Ab si.m colguet una nuoich per amor E no.ill fi, de qe sui en error. Per ti me man si es dreitz que m’aucia O, s’ill me trac, si me fai cortesia.
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Peironet, va-t-en en Sabartés Voir Pierre de Durban Et dis-lui que la plus belle des femmes Sans mentir, par amour, coucha [voulut coucher ?] avec moi une nuit Et je n’en fis rien, ce pour quoi je fus fautif. Si c’est moi qu’elle aime à travers toi, alors tu as le droit de me tuer Ou alors, en paraissant m’aimer, elle me trompe. Je suis trahi par ces trois-là De la part desquels je croyais pouvoir attendre le plus de joie Et parce qu’ils m’ont séduit [pour me tromper] Au moment de partir, je me trouvai honteux Et je prie Dieu de me donner Colère et Douleur Et de ne jamais me donner joie sans pleurs Et ainsi, pour ne pas être taxé de vilenie J’irai me faire moine à l’abbaye Je veux bien, sans mentir, Avoir donné tout mon harnais S’il plaisait aux dames De daigner me soutenir Pour les fautes que j’ai commises de vers la plus belle des femmes Et non pas parce que jamais je n’irai voir ailleurs Mais bien pour qu’elle accepte une nuit en ma compagnie Que je ne puisse jamais plus me vanter d’être son amant Dame, si je vous laisse en paix, à l’avenir, avec mon amour Je vous ferai tort et me couvrirai de ridicule |
Gaucelm feditz, tres jocs enamoratz Savary de Mauléon |
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éd. De RIQUER (Martín), Los Trovadores, Historia literaria y textos, n°185, Barcelona, 1975, pp. 944-948. Traduction de David Escarpit extraite de l’article de Frédéric Boutoulle, "Les deux vies de Guilhemine, cours d’amour, veuvage et politique à Benauges au XIIIe siècle" , De Benauge à Verdelais, 12e colloque L’Entre-deux-Mers et son identité, 9, 10 et 11 octobre 2009, 2011, pp. 31-46. Disponible sur internet |
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[I] Gaucelm, tres jocs enamoratz
[V] Senher, vos que l’esgart blasmatz
[VIII] Sehner, vencutz no sui nien, [IX] Gaucelm, tant ai razo valen |
[Savary] À vous Gaucelm [Faidit], [Gaucelm] Seigneur Savary, sachez
[Gaucelm] Seigneur, vous qui dénigrez le regard
[Uc] Gaucelm : ma raison est tellement puissante |