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Flux et destinations des vins gascons. Carte extraite de l’article de Sandrine Lavaud, Vignobles et vins d’Aquitaine au Moyen Âge, Territoires du vin [en ligne], n°5 - Varia sur les Territoires du vin, 2013.
 

 

 

Alors qu’ils doivent faire face à la rude concurrence des vins du Rhin dans les pays du Nord, les négociants gascons bénéficient en Angleterre d’un monopole quasi-absolu ainsi que de la protection du roi. La charte qui leur est concédée en 1302 par Édouard Ier (1272-1307) représente certainement le plus haut degré de ce favoritisme royal (C61/117, 4, membrane 17, 24, voir l’acte daté du 13 août 1302). En échange d’un nouvel impôt douanier de 2 shillings par tonneau de vin importé sur le sol anglais (art. 11), les Gascons obtiennent plusieurs avantages commerciaux et juridiques lorsqu’ils se rendent en Angleterre dont la  promesse d’une protection permanente lorsqu’ils viennent commercer (art. 1). Entrant en contradiction avec les coutumes et libertés locales (notamment concernant le droit de douane ou la vente de vin aux acheteurs étrangers), cette charte a rapidement cristallisé les ressentiments des marchands anglais et surtout londoniens. Les archives anglaises et particulièrement les Ancient Petitions rapportent de multiples litiges opposant Gascons et Anglais sur le sol britannique. 

 

 

Bordeaux ne possédant pas de flotte commerciale, le transport du fret est confié à des marins basques, bretons ou étrangers (anglais, espagnols, flamands) possédant des navires aux tonnages très variés. Les Rôles gascons citent les noms et l’origine de nombreux bateaux marchands comme le Sanctus Jacobus de Deba (Guipúzcoa), d’une capacité de 400 à 500 tonneaux (C61/131, 20, membrane 14, 50) ou la Marie de Bayonne, d’une capacité de 240 tonneaux (C61/143, 38, membrane 4, 46). 

 
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Clé de voûte de la cathédrale de Bayonne représentant un bateau de transport commercial appelé « cogue ». 
 
   

La dispute entre Johan Boulomer, tailleur bordelais, et Bertran Ozanne, marchand et bourgeois de la même ville, témoigne de l’importance des exportations de vin pour les Bordelais et du fondement de leur fidélité au roi d’Angleterre. Connue par un texte daté du 20 juin 1408, cette affaire mêlant le pittoresque au politique mérite d’être relatée (C61/122, 9, membrane 14, 25). Le dialogue, exceptionnellement rapporté dans une pétition, se serait déroulé durant l’hiver 1399-1400, rue Poitevine (à Bordeaux).


-    Maître Johan Boulomer, dit Bertran, je veux vous entretenir d’une grande et merveilleuse chose, en vérité.

-    Je suis d’accord avec ça, répond Johan, parlez-moi de ce que vous voulez me dire.

-    Vraiment les Anglais sont de mauvaises personnes causant grandes offenses, et dernièrement ils sont allés à Margaux et Macau où ils ont coupé des arbres chargés de fruits, les prenant dans leurs bateaux. Et savez-vous, Boulomer, que nous devons quitter leur autorité.

-    Sainte Marie ! s’écrie Johan, Monsieur, cette chose ne peut se faire car la ville [de Bordeaux] a toujours été par le passé très loyale à la couronne d’Angleterre et dorénavant par la grâce de Dieu elle le restera encore ; et comment pourraient vivre les pauvres laboureurs et les sujets du roi [d’Angleterre], notre seigneur, quand ils ne seraient plus en mesure de vendre leur vin ni d’avoir des marchandises venant d’Angleterre, comme il est d’usage ?

-    Laissez cela, Boulomer, rétorque Bertran, nous vivrons bien sans eux car nous taillerons la moitié de nos vignes et produirons là le double.

-    Monsieur, répond Johan, ne me dites rien de plus à ce sujet car je préférerai garder le silence plutôt que d’accepter votre opinion.

-    Vous l’accepterez, que cela vous plaise ou non, déclare Bertran, autrement vous quitterez la ville, vous et tous les autres qui ne l’accepteront pas.